Suzanne Husky, l'artiste sentinelle

Suzanne Husky combat avec des armes douces : le crayon, le pinceau, le trait posé sur une toile… Cette Franco-américaine qui a étudié l’art, mais aussi le paysagisme horticole au Merritt College d’Oakland en Californie et l’agroforesterie, peint pour révéler la transformation des paysages, la pollution des rivières, la disparition des zones humides, l’impact des mégafeux et de la saturation des sols. Cette double approche artistique et scientifique lui confère une renommée dépassant le cadre de l’art, ainsi qu’une parole de plus en plus entendue. Avec le philosophe Baptiste Morizot, elle vient de publier un ouvrage au titre évocateur – Rendre l’eau à la terre – dans lequel elle remet un bâtisseur exceptionnel sur le devant de la scène, un guérisseur des rivières taries, polluées et dévitalisées : le castor.

"Ayant grandi dans un moulin à eau, j’ai vécu avec l’écosystème de la rivière sous les yeux, raconte-t-elle. Et je suis fascinée par le castor, cet ingénieur et paysagiste hors pair, que la culture française ignore totalement".

Dans son œuvre récente, ce sujet est représenté en majesté, avec des niveaux de détails historiques et scientifiques qui imagent sa relation à l’homme et à la nature, ainsi que ses bienfaits pour l’humanité. Maîtrisant les arts de la main – dessin, céramique, tapisserie, sculpture, textile – et se formant continuellement à ceux de la terre – horticulture, paysage, agroécologie, herboristerie – Suzanne Husky vulgarise les recherches de nombreux penseurs, scientifiques, naturalistes, militants et sème des futurs capables de revitaliser les rivières, les sols et la vie. "À quoi d’autre devrais-je m’intéresser, questionne-t-elle, tant la question environnementale et climatique s’avère prégnante aujourd’hui. Comme artiste, je peux tout raconter, tout dire. Je peux utiliser le conte, l’histoire, l’image, la couleur… pour faire comprendre les menaces qui pèsent sur le cycle de l’eau et la biodiversité. Je fais néanmoins très attention à ce que je produis, consacrant beaucoup de temps à rencontrer les acteurs de l’eau pour ancrer la réalité des choses".
Au sein du Mouvement d’alliance avec le peuple castor qu’elle co-préside, Suzanne Husky diffuse aussi une éducation populaire aux enjeux des rivières et sensibilise aux pratiques de la médecine castor, qu’elle nomme "une régénération fondée sur les processus de la nature". Elle conduit encore, dans les Landes, un projet de création d’une zone humide pare-feu avec l’ONF, basé sur les méthodes castor. Au sein du Centre d'art contemporain Wiels de Bruxelles et dans le cadre de l’exposition Réalisme magique : Imaginer la nature en dés/ordre, elle appartient aux 30 artistes retenus pour apporter leurs points de vue sur le rapport à la planète. Son objectif sous-tendu ? Rompre avec le principe d’extraction sans limites des ressources et aider à retisser des liens avec la biosphère et les réseaux complexes la constituant.