
Méditerranée, les habitats marins en reconquête
En marge de la 3e conférence des nations Unies sur l’océan (UNOC), Pierre Boissery, expert Mer de l’agence de l’eau, dresse le portrait d’une Grande bleue bien vivante grâce aux améliorations obtenues. Mais il faut poursuivre les efforts notamment pour restaurer les habitats marins et les fonctions écologiques en zone côtière. Le 8 juillet prochain à Marseille, l’agence de l’eau convie élus, universitaires, gestionnaires du littoral et techniciens pour en parler.
Quel est le bilan de santé de la Méditerranée ?
Pierre Boissery : Il est plutôt bon et heureusement très éloigné du scénario catastrophe des années 80 où l’on nous annonçait une mer en train de mourir ! Quand on s’attaque à un sujet avec des actions concrètes et ciblées, on fait bouger les lignes. Prenons l’exemple de la qualité : aujourd’hui 94 % de nos eaux côtières sont en bon état chimique. Partager les résultats positifs et les expériences bénéfiques sera l’un des enjeux de la journée d’échanges du 8 juillet.
Comment cette situation de retournement s’est-elle opérée ?
Pour l’imager, j’évoquerai une trajectoire de reconquête de la bonne santé de la Méditerranée en trois temps. Il a d’abord fallu engager un travail de fond pour améliorer la qualité de l’eau, qui nous a conduits à lutter contre les pollutions industrielles et d’origine urbaine. Quelques décennies après l’urgence des années 80, la qualité de l’eau s’est nettement améliorée : la très grande majorité de notre littoral est conforme aux obligations européennes. À partir des années 2000, la notion de non-dégradation de la biodiversité est venue s’ajouter à la lutte contre la pollution. Pour l’essentiel, cela concerne les habitats marins. Il est effectivement important de ne pas les abîmer ou les détruire, car on ne les répare que difficilement ! La dernière étape, apparue ces dernières années, porte justement sur la restauration écologique. Avec une qualité de l’eau améliorée, des usages côtiers maîtrisés, on a pu envisager de restaurer certaines fonctions écologiques : celles des nurseries côtières et de l’habitat prioritaire que constitue l’herbier de Posidonie. La mise en synergie de ces trois politiques nous assure la plus grande efficacité pour améliorer encore l’état de la Méditerranée.
En quoi consistent les actions de restauration écologique promues par l’agence de l’eau ?
Nous travaillons sur deux thématiques essentielles, dont nous maîtrisons désormais les techniques et avec des moyens conséquents : l’installation de nurseries artificielles dans les ports afin d’accueillir et de protéger le développement des juvéniles de poisson, et la reconquête de l’herbier de Posidonie.
Aujourd’hui, nous sommes intervenus dans 60 % des ports méditerranéens des régions Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse et poursuivons l’objectif ambitieux d’atteindre 100 % de la restauration de la fonction de nurserie en région Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’échéance de notre 12e Programme d’interventions 2025-2030. Ce qui est à souligner dans la restauration écologique déployée dans les ports, c’est que nous nous intéressons à une large variété d’espèces, importante pour le bon fonctionnement du milieu marin. La protection de la biodiversité marine n’est pas qu’une affaire de spécialistes ! Elle concerne l’ensemble des acteurs littoraux et marins.
Pour ce qui concerne l’herbier de Posidonie, le programme expérimental Repic (REstaurer la Posidonie Impactée par l’anCrage) initié en 2019 dans l’objectif de replanter des fragments d’herbier de posidonie sur des sites impactés par les mouillages de plaisance a permis d’engager une véritable dynamique de restauration de cet écosystème remarquable. Il se poursuit depuis six ans avec un objectif minimum de transplantation de 1 500 mètres carrés par an. Les résultats sont là, c’est pourquoi l’agence soutient le déploiement de ce type de travaux dans le cadre de son 12e Programme, en complément des actions d’organisation des mouillages. Le bon état écologique de cette plante est atteint pour les ¾ des masses d’eau côtières : celles où la qualité des herbiers est très préservée se situent entre les caps de l’Estérel et de Brégançon, ainsi que le cap est et la plaine orientale en Corse. A contrario, celles devant faire l’objet de mesures urgentes couvrent aujourd’hui toute la zone à l’ouest de Fos-sur-Mer, hormis la côte des Albères, la zone entre Fréjus et Sainte-Maxime, celle entre Antibes et Menton et le littoral bastiais.
Par ailleurs, nous sommes également très attentifs à l’état de santé des coralligènes, qui sont des habitats méditerranéens particulièrement riches en biodiversité. Or cet habitat remarquable n’est en bon état écologique que pour 37 % des masses d’eau côtière.
D’autres actions se profilent-elles dans le cadre du 12e Programme de l’agence de l’eau ?
Nous allons poursuivre notre soutien à l’amélioration des connaissances et l’expérimentation sur les macroalgues et les récifs coralligènes, afin de pouvoir déployer dans quelques années des opérations de restauration sur ces habitats. D’autres habitats restent en outre peu considérés, car insuffisamment connus, comme les zones sableuses et meubles qui constituent 80 % de la surface de notre littoral, les habitats rocheux des tout petits fonds ou bien encore les têtes de canyons, dont les rôles sont importants pour le fonctionnement de la zone côtière. L’agence poursuivra le financement de projets d’acquisition de connaissances sur ces habitats pour mieux les préserver.
De tels programmes requièrent beaucoup de temps avant de montrer des résultats, comment mobiliser encore et encore ?
Nous sommes depuis ces dernières années dans une dynamique positive de reconquête, même s’il ne faut pas minimiser les difficultés à venir, dont les incidences du changement climatique. Notre nouveau programme d’intervention affiche des ambitions fortes pour la Méditerranée et la vie marine avec la possibilité d’accompagner les projets à des taux allant jusqu’à 80 % pour les opérations en faveur d’une réduction de la pression des mouillages en mer, les travaux de restauration écologique, la lutte contre les pollutions de toutes origines ou encore les dispositifs réduction des flux d’apports de macrodéchets à la mer. La mobilisation de l’ensemble des acteurs - élus, services de l’État, gestionnaires de la zone côtière, usagers, acteurs économiques... - reste nécessaire pour poursuivre les efforts en faveur de la Méditerranée.
> En savoir plus sur la journée d'échanges "Méditerranée, sauvons les habitats côtiers !"
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