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stress hydrique forêt alluviale
> mercredi 25 octobre 2023

Comment évaluer le stress hydrique de nos forêts alluviales ?

Des travaux de recherche sur la basse vallée de l’Ain.

L’Ain dans sa basse vallée est sujet à un déficit sédimentaire de l’ordre de 15 000 m³ par an. Ce déficit a conduit à une incision du fond du lit qui menace le renouvellement de la forêt riveraine pionnière. Le Syndicat de Rivière Ain Aval et ses Affluents (SR3A) lutte contre ce déficit depuis les années 2000 et a récemment mis en place une nouvelle opération de recharge sédimentaire pour pallier ses effets négatifs. Ce contexte, propice au développement de nouveaux outils de diagnostic et de suivi des cours d’eau, a donné lieu à une thèse cofinancée par l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et l’École Universitaire de Recherche H2O’Lyon. Menée au sein du laboratoire Environnement Ville Société (EVS) par Julien Godfroy, cette thèse est arrivée à son terme début Avril et permet de mieux diagnostiquer la santé de nos forêts riveraines et leur résilience face à la sécheresse.

Certaines évolutions des lits fluviaux affectent la résilience et la santé de nos forêts

 L’enfoncement du lit de l’Ain a dépassé un mètre localement au cours des dernières décennies ce qui entraîne un abaissement du niveau de la nappe d’accompagnement dans laquelle les espèces emblématiques de la forêt riveraine (comme le saule et le peuplier) s’alimentent en eau. Du fait de l’incision, la forêt riveraine se retrouve alors sur des niveaux topographiques qui sont plus perchés et moins fréquemment inondés lors des crues. Cela limite leur accès à l’eau car les racines sont déconnectées de la nappe et le sol graveleux est très filtrant avec une moindre capacité à retenir l’eau de pluie du fait d’un apport plus limité en sables et en limons lors des crues.

Des relevés écophysiologiques effectués sur des peupliers au cours de l’été 2022 ont montré qu’ils peinent à faire face à la sécheresse estivale. Les températures importantes couplées aux faibles niveaux d’eau conduisent à une situation de stress, ce qui peut freiner leur croissance et conduire au dépérissement de certains individus, et ce sont les secteurs où le lit de la rivière est incisé qui sont les plus touchés. Lorsqu’il y a des précipitations estivales, celles-ci peuvent atténuer temporairement cet effet de stress.

Par ailleurs, les secteurs forestiers proches des zones d’incision étant plus secs, ils enregistrent une colonisation plus avancée par des espèces post-pionnières (frênes) ou caractéristiques de milieux plus secs (tilleuls), au détriment des espèces ripicoles emblématiques comme le saule et le peuplier.

Des outils et des méthodes pour mieux appréhender ces phénomènes

Afin d’arriver à un tel diagnostic et de cartographier les secteurs où l’état de la forêt riveraine est le plus dégradé, des outils issus de la télédétection ont été utilisés. Certaines données de plus en plus fréquemment acquises à partir de capteurs aéroportés comme le LiDAR pour la restitution des formes fluviales ou l’infrarouge thermique pour la thermie de surface ont permis d’évaluer l’état de santé de la végétation. En revanche, de tels diagnostics doivent encore s’appuyer sur des acquisitions plurielles ou sur une validation in situ, par exemple en évaluant la teneur en eau des feuilles.

Un des résultats du travail de thèse est présenté ci-dessous en exemple, dans un des secteurs les plus connectés de la rivière d’Ain. Il s’agit d’un site où est survenu un recoupement de méandre qui sépare une forêt pionnière issue d’un recrutement récent au nord, et une forêt pionnière plus mature au sud. S’il s’agit dans les deux cas de peupleraies pionnières à un stade de développement différent, des données acquises pendant la canicule de l’été 2022 indiquent une plus grande vulnérabilité des peuplements les plus jeunes : les saules et les peupliers qui la composent vivent au sein de communautés denses ayant souffert de la canicule. 

télédétection forêt

Données de télédétection témoignant d’une vulnérabilité de la forêt pionnière récemment recrutée sur le site de Mollon à la canicule de l’été 2023. Un traitement statistique classiquement utilisé pour analyser les données hyperspectrales (MNF = Minimum Noise Fraction) permet de distinguer le stress (bleu) de la végétation chlorophyllienne en bonne santé (vert) et de la renouée (rouge).

 

Ainsi, le jaunissement des feuilles peut être constaté par une image visible classique. En exploitant plusieurs images satellites dans le proche-infrarouge pour calculer un indice de santé de la végétation (NDVI), on constate que celui-ci diminue entre le pic et la fin de la période végétative dans le secteur nord : il y a une perte de biomasse ou une diminution de l’activité chlorophyllienne. La température de la canopée forestière nous donne une autre clef de lecture convergente : elle est moins élevée pour la forêt mature qui a suffisamment d’eau pour transpirer, ce qui atténue la température à la surface des houppiers. Finalement, des outils plus innovants comme l’imagerie hyperspectrale mesurant précisément la réponse de la forêt dans le visible et le proche-infrarouge mettent également en avant ce manque d’eau : toute cette information résumée statistiquement est retranscrite cartographiquement par un zonage qui oppose une zone dans les teintes bleues et violettes sur l’image qui abrite des peuplements marqués par un stress hydrique et, à une zone verte correspondant à une végétation en meilleure santé.

À cette échelle locale où les gradients topographiques sont négligeables, les jeunes populations de saules et de peupliers sont plus vulnérables. Une variable explicative est celle du substrat car elles sont établies sur des sols plus drainants et graveleux. Ce sont des indices convergents de ce type qui ont permis de mettre en avant dans ce travail de thèse que les gradients topographiques liés à l’incision de la rivière conduisent à un assèchement de la forêt et à une modification des communautés d’espèces à l’échelle du corridor.

La démocratisation de ces outils et les coûts associés

Ces travaux ouvrent la possibilité d’évaluer l’état de santé des forêts riveraines, notamment en contexte estival, à l’échelle de continuums fluviaux de grande taille à partir de données aéroportées traditionnellement collectées pour évaluer la qualité des habitats aquatiques pour les poissons (température et refuges thermiques) ou encore de données satellitaires accessibles à tous (images Sentinel 2 notamment). À une échelle plus fine, l’utilisation de drones est également une solution, et les capteurs embarqués peuvent parfois être utilisés sur d’autres vecteurs aériens pour atténuer les coûts des acquisitions sur de longs corridors, en échange de moyens humains plus importants pour gérer l’acquisition et le prétraitement des données.

Les solutions payantes quant à elles reposent sur l’acquisition et le traitement d’images produites par des satellites à très haute résolution spatiale, ou des données aéroportées acquises par des bureaux d’études spécialisés. Si ces données sont de plus en plus accessibles, aujourd’hui le coût des commandes à des bureaux d’études spécialisés peut être estimé à 10–40k€ pour un tronçon de 20–30 kilomètres en fonction des capteurs envisagés et du prestataire.

 

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