Version imprimable Lien
Rhône défilé de la Balme RCC de Belley (01) F Barr
> vendredi 05 septembre 2014

Rhône, le fleuve roi change de visage

Le Rhône se métamorphose. Débarrassé de la pollution des villes, il bénéficie du travail de scientifiques de renommée mondiale qui lui redonne vivacité et biodiversité. Bientôt libéré dans un lit élargi, il sera aussi mieux armé face au changement climatique. Le fleuve se prépare un nouvel avenir avec le 2e plan Rhône que l’on espère à la hauteur du premier.

Dimanche 1er juin, la fête de la Via Rhôna bat son plein : joutes à Serrières (07), test de vélos électriques à Sablons (38), découverte de la faune sur l’île de la Platière. « Cette journée, c’est comme retrouver un ami », commente Roberte di Bin, maire de Sablons et présidente du Smirclaid*.

C’est une renaissance. En deux siècles, le cours de « l’indomptable », avait été bridé par l’homme. Depuis 2005, le plan Rhône lui redonne son naturel, sans négliger son potentiel économique. Pour Franck Leleu, marinier à Salaise-sur-Sanne « il offre une vraie chance de faire du transport fluvial moderne ». Ce mode de circulation écologique reste la marque de fabrique du Rhône, comme la production hydroélectrique.

Finies aussi les concessions sur la biodiversité : l’eau regagne en qualité. La pollution organique a été divisée par cinq en 20 ans au sud de Lyon et 99% des stations d’épuration du bassin respectent la directive sur les eaux résiduaires urbaines, comme les onze du Grand Lyon -plus de 2 millions d’équivalent-habitants. « Nous traitons plus de 90% des pollutions organiques et azotées et nous gérons la moitié des eaux de pluie de l’agglomération, contre seulement 30% avant », affirme Frédéric Peillon du Grand Lyon.

 

Plus propre, le fleuve retrouve aussi sa vivacité. La CNR et ses partenaires ont remis en eau 50 kilomètres de lônes, ces anciens bras morts du fleuve victimes du « court circuitage » du Rhône. « A Péage-de-Roussillon, nous avons déjà remis en eau trois lônes sur un programme de onze, explique Pierre-François Delsouc, du Smirclaid. Le débit recreuse les lits ; les animaux et la végétation alluviale se réinstallent. Et, depuis le 1er janvier, le débit réservé sur le Vieux Rhône a été augmenté et l’eau réinvestit les plages ».

Le remodelage du fleuve entre maintenant dans une phase plus délicate : refaire rouler des galets dans le fond du Rhône pour reconstruire des habitats. Concrètement, il s’agit de remobiliser les sédiments piégés sur les bords du Rhône par des épis inventés par l’ingénieur Girardon à la fin du XIXe siècle. « Ces digues submersibles devaient faciliter la navigation», explique Christophe Moiroud, responsable du pôle environnement à la CNR. «Mais du sable s’est accumulé entre ces digues et le rivage, bloquant les marges alluviales et renforçant l’effet des crues », ajoute Jean-Paul Bravard, géographe et membre de la Zone atelier du bassin du Rhône (Zabr). Le chercheur propose de supprimer une partie des casiers Girardon, partiellement ou totalement, comme à Pont-Saint-Esprit où 17 épis ont été enlevés. Avec succès, selon le géographe : « Le fleuve reprend de l’énergie, érode les matériaux et réélargit son lit : ça marche »!

 

La recherche de classe mondiale au chevet du Rhône

Autre « force du plan Rhône », selon Jean-Michel Olivier, biologiste à Lyon 1 : « le programme Rhônéco, qui évalue les effets des actions sur le fleuve en développant des méthodes prédictives ». Cette expérience unique au monde  sera présentée au congrès mondial des chercheurs spécialisés dans les grands fleuves, IS Rivers, à Lyon en juin 2015. « Avec cette étude, ajoute le chercheur, on sait par exemple que la multiplication par 10 du débit réservé du vieux Rhône à Pierre-Bénite en 2000, qui a augmenté la profondeur et la vitesse de l’eau, a permis de passer la proportion de poissons d’eau courante, Hotu, Barbeau, Ablette, Vandoise, de 15 à 45%».

Les poissons migrateurs vont quant à eux de plus en plus loin sur le Rhône. «Avant, ils restaient bloqués au premier barrage, à Beaucaire, explique Isabelle Lebel, présidente de l’association Migrateur Rhône Méditerranée (MRM). Aujourd’hui, les aloses remontent jusqu’à l’Ardèche pour s’y reproduire. Et les anguilles, elles, vont y croître en eau douce, avant de retourner se reproduire dans la mer des Sargasses. Plus rare : un témoin a récemment vu une lamproie vers Donzère.». Un programme de 40 M€, établi avec les chercheurs, a permis d’améliorer le franchissement des équipements. « Pour les aloses, on crée des courants d’attrait dans les écluses et on construit des passes à poisson sur les barrages, pour restaurer la continuité, comme aujourd’hui à Sauveterre (30), explique Luc Levasseur, responsable des missions d’intérêt général à la CNR. Pour l’anguille, nous avons installé des rampes à brosses jusqu’à Avignon. Et pour la lamproie, nous effectuons des éclusages à poissons à des moments propices, parfois de nuit ».

 

Le Rhône mérite un accord transfrontalier sur son débit

Ala veille du démarrage du 2ème plan Rhône, la question du partage de l’eau devient cruciale, alors que le fleuve devrait perdre 30% de débit d’ici à 2050. «Avec le changement climatique, qu’arrivera-t-il si le Rhône, aujourd’hui abondant, doit satisfaire des besoins en eau en croissance constante ? », interroge Eve Sivade, de l’agence de l’eau, chargée d’une étude sur la gestion quantitative du Rhône en période de basses eaux. Biodiversité, hydromorphologie, qualité du milieu, partage des usages : tout se tient. L’avenir du Rhône dépend de notre capacité à mettre en place une gouvernance rénovée beaucoup plus solide sur la gestion des débits. « Aujourd’hui, en l’absence d’accord franco-suisse, la gestion des débits de fleuve est l’affaire des opérateurs hydroélectriciens, des Services industriels de Genève, et côté français, principalement la CNR, explique Christian Bréthaut, coordinateur du projet de recherche GouvRhône à l’Université de Genève. Mais, dans un contexte d’essor de l’hydroélectricité et de modifications de débits en lien avec les changements climatiques, il existe un risque d’augmenter des rivalités entre les différents usage(r)s du fleuve. La gouvernance transfrontalière est un enjeu majeur pour une bonne coordination amont-aval ».

 

* Syndicat mixte du Rhône court-circuité Loire Ardèche Isère Drôme

Mots-clés :

Lire aussi...

> LUNDI 19 FÉVRIER 2024
En poste depuis le 15 février, Nicolas Mourlon, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts,
> VENDREDI 09 FÉVRIER 2024
Après deux saisons de Marathon de la biodiversité, la Plaine de l'Ain totalise déjà 20 km de haies et une trentaine de mares.