Tribune de Martin Guespereau: Osons penser différemment nos rivières!
La loi métropole de janvier dernier vient de changer la face de la politique de l’eau.
On se plaignait jusqu’ici en maints endroits de ne pas trouver de responsable des rivières et des inondations. Désormais, la compétence est créée, sous le vocable doucement administratif de « gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations -- GEMAPI ». Pour la porter, la loi a fait le choix des EPCI à fiscalité propre, à compter de 2016. C’est une consécration du rôle prééminent que le groupe communal a pris de fait dans la gestion des rivières en multipliant, librement, les syndicats de rivière. Il faut dire que la loi feignait encore de croire que le propriétaire riverain était le gestionnaire de la rivière. La voie était donc libre.
Le monde de l’eau demande aux EPCI de ne pas oublier le gène français de la gestion de l’eau par bassin versant. Comment pourrait-on imaginer de gérer les inondations autrement que par bassin versant ? La loi propose des labels alléchants d’EPAGE pour porter la maîtrise d’ouvrage, ou d’EPTB pour faire la coordination à grande échelle. Mais le plus important c’est encore de transformer ou de créer les syndicats de rivière, comme syndicats mixtes d’EPCI, en les élargissant aux dimensions du bassin versant, en les dotant de compétences d’ingénieurs et de techniciens et des moyens d’actions. On se félicitera que la loi ait remarié la gestion des cours d’eau et la prévention des inondations en les remettant aux mêmes mains, après 10 ans de lois sectorielles qui les avaient éloignés. Si nous réussissons cette structuration des compétences larges et à l’échelle du bassin versant, on pourra se féliciter d’avoir fait reculer le mille-feuille administratif.
Les EPCI sont invités à se financer sur les taxes locales. Ils trouveront en complément les agences de l’eau sur leur chemin vers la GEMAPI. Les agences de l’eau peuvent dès maintenant aider dans la structuration des compétences et les études. Leur entrée naturelle est celle des milieux, tandis que le fonds Barnier continuera de soutenir la protection des personnes contre les crues. Les agences de l’eau se sont mises en capacité de répondre. Par exemple l’agence Rhône Méditerranée Corse a doublé ses moyens pour les milieux à un niveau considérable de 414 M€, dans son programme d’action « sauvons l’eau » 2013-18, et est prête à les déployer sur la GEMAPI.
L’occasion est trop belle : osons penser différemment nos rivières. L’urgence de l’heure c’est de sortir nos rivières de l’étouffement des trente glorieuses qui les ont passées au bulldozer, cloisonnées, « rectifiées » et serrées entre des digues trop étroites. La faillite de ce mode de gestion est patente : on déplore chaque année des morts suite à des ruptures de digues ou parce que les eaux furieuses agressent les berges parce qu’elles ne peuvent plus s’épandre. On sait moins que c’est aussi un mode de gestion tellement contre-nature pour la rivière qu’il est très cher en entretien : on pousse le vice jusqu’à payer des camions pour faire rouler les galets en aval, parce qu’ils ne savent pas sauter les seuils artificiels. Le comité de bassin a fait un état des lieux fin 2013 qui montre que la restauration physique des cours d’eau est aussi critique pour reconquérir le bon état de nos rivières que la maîtrise des pesticides. Faire ce travail est un engagement que notre nation a pris autant dans la directive cadre sur l’eau de 2000 que dans la récente directive inondations pour les territoires à risques important d’inondation (TRI) de 2007.
L’heure est à la concentration des forces. Les EPCI voudront contractualiser avec l’agence de l’eau. Celle-ci demandera qu’il y ait systématiquement un volet de « ralentissement dynamique », c’est-à-dire une renaturation faite de zones d’expansion de crues, autrement appelées zones humides, faite de reméandrages, de reculs de digues ou encore de suppression des seuils en travers des rivières aux nœuds stratégiques pour les galets et la vie piscicole. Fondamentalement, il s’agit pour la France de se lancer, à l’instar du Royaume-Uni ou des Pays-Bas, dans un programme pour redonner leur juste espace aux rivières, leur espace de bon fonctionnement. Il augmentera aussi les services que la rivière rend à la population comme l’agrément touristique, le réservoir de biodiversité, la source d’eau potable… L’agence de l’eau apportera les financements à 50% sur ces opérations de gestion des milieux aquatiques qui concourent à la prévention des inondations.
L’agence de l’eau saura accroître son soutien pour ceux qui arriveront à l’heure. Avant 2016 pour la structuration des syndicats ; avant 2018 pour la période transitoire… Par exemple ceux qui déposent aujourd’hui leurs demandes d’aides pour les études préalables à l’élaboration des statuts des nouvelles structures, ou pour l’arasement d’un seuil, repartiront avec 80% de subventions.
Martin Guespereau, Directeur Général,
Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse
© Photo: Alain Guillemaud
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