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Ain Richard Brailly AE 14
mercredi 06 novembre 2013

Libérez les rivières !

On a longtemps cru que l’on pouvait impunément endiguer, canaliser et surexploiter les cours d’eau. Grave erreur : inondations dramatiques, coûts d’entretien, appauvrissement des milieux naturels, enfoncement des nappes phréatiques… Les conséquences sont multiples.

Mais il n’est pas trop tard : de nombreuses solutions existent et commencent à être mises en œuvre. Exemple sur la fougueuse rivière Ain.

22 septembre 1992 : l’Ouvèze envahit Vaison-la-Romaine faisant 36 morts et 500 MF de dégâts. En cause notamment : un lit de rivière rendu rectiligne et trop aménagé. 3 décembre 2003 : le pont de Die, déstabilisé par des extractions de granulats des années 1980, bascule sous la poussée des gravats charriés par la Drôme en crue. «Dans l’Après-guerre, on a transformé les rivières rapidement et fortement, afin d’assurer certains usages comme la production hydroélectrique, ou se protéger localement contre les inondations », explique Hervé Piégay, directeur de recherche en hydro-géomorphologie au CNRS et à l’ENS de Lyon. Aujourd’hui, on découvre les conséquences, en terme de risques, de coût et d’impact sur la biodiversité. « Mais on peut encore agir ! rassure Hervé Piégay. Aujourd’hui, avec le Sdage, les Sage, les contrats de rivière, etc, on a tous les outils pour construire des solutions dans une concertation amont-aval. Les élus réalisent aussi que protéger trois maisons est plus coûteux que de les racheter pour redonner un espace de liberté au cours d’eau».  Un espace de liberté, inondable et « érodable » au gré de la rivière, voilà la grande nouveauté.

Les pêcheurs viennent même

d’Australie ou du Japon

C’est sur l’Ain que cette notion a été mise en œuvre pour la première fois : depuis 1999, la Cle et le Syndicat mixte du bassin versant de la basse vallée de l’Ain (SBVA) ont élaboré puis mis en œuvre, avec l’aide du laboratoire d’Hervé Piégay, un Sage qui préserve des aires de mobilité. Une protection inscrite dans les documents d’urbanisme et dans le schéma départemental des carrières. Les mouvements de l’Ain posent peu de problèmes sur ces terrains non urbanisés et souvent propriétés communales. Les truites et autres ombres apprécient… tout comme les pêcheurs, qui viennent même d’Australie ou du Japon, selon Nicolas Goussef, responsable de la Fédération départementale de pêche.

«Les habitants peuvent comprendre cette notion, parce qu’ils savent qu’en une crue, le lit de l’Ain peut se déplacer de 500 m», assure Céline Thicoïpé, directrice du SBVA. Quant aux élus, rapporte Jacques Cagnac, président de la Cle et du syndicat, « ils s’inquiètent de la ressource en eau potable ». Cela n’exclut cependant pas des difficultés : face à un grignotage des berges rive droite (25 m dans la seule année 2007 !), Saint-Maurice-de-Gourdans a vu son stade de foot et son camping menacés et a fait construire, après moult débats, une protection. Mais la commune a aussi accepté que le SBVA fasse réaliser un « chenal de redynamisation » d’une zone déconnectée en rive gauche, où l’Ain s’épanche désormais en cas de crue, « ré-engraissant» son chenal principal en galets. «Cette affaire a été une occasion d’agir plus largement», se félicite Céline Thicoïpé.

La « simple » préservation d’espaces de mobilité ne suffit en effet pas. «La basse vallée de l’Ain perd 15 000 m3/an de sédiments», assure Céline Thicoïpé. Or là où ne reste qu’un pavage au fond de l’eau, plus de frayères et de caches pour les poissons et invertébrés… En 2003, il a donc été décidé de profiter de restaurations de lônes prévues par le Conservatoire des espaces naturels (Cen) Rhône-Alpes, pour recharger la rivière avec les galets extraits. A partir de 2006, le contrat de bassin a pris le relais du financement initial de ces travaux par l’Europe. «Entre 2005 et 2011, nous avons ainsi recreusé 9 lônes en amont de Priay, là où le déficit sédimentaire était le plus marqué et où l’apport ne pouvait plus être naturel, explique Elisabeth Favre, chargée de ce projet au Cen. Environ 90 000 m3 ont été réinjectés dans l’Ain, remettant son bilan sédimentaire à l’équilibre ». En complément, des galets issus de curages aux pieds d’un pont sur l’Albarine ont été apportés par camion. Si l’Ain devrait avoir ainsi retrouvé suffisamment de santé, il faut encore, pour assurer l’avenir, l’aider à aller se « nourrir» sur les berges, dans les saulaies, etc. C’est l’objet du « plan de gestion sédimentaire » désormais en cours d’élaboration.

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