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Martin Guespereau©Alain Guillemaud PA18
> jeudi 15 janvier 2015

Le rôle de la métropole lyonnaise en appui aux politiques publiques de l'eau

Tribune de Martin Guespereau, directeur général de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, parue dans la revue PCM (novembre 2014).

Le mille-feuille administratif atteint son sommet dans le domaine de l'eau. La France brille de ses 35.000 services d'eau potable et d'assainissement quand le Royaume-Uni se contente de 100 fois moins. La nouvelle organisation territoriale simplifiée testée par la métropole lyonnaise promet donc d'être particulièrement intéressante de ce point de vue.  

Beaucoup voient dans l'élargissement de la maille géographique de la métropole à toute l'agglomération et à son enveloppe la mère des réformes territoriales et la clef d'une politique plus efficace. C'est certain que gérer les rivières qui coulent dans son périmètre ou gérer ensemble toute l'eau potable et l'assainissement de l'agglomération fera faire des économies en structures (syndicats de communes) et ouvre la voie à toutes les rationalisations possibles dans les choix. Mais ces avantages ne se distinguent finalement pas nettement de ce qu'offrait déjà la communauté urbaine.

Des avantages plus décisifs sont en fait à attendre du relief beaucoup plus politique qu'offre le statut de métropole que pour une communauté urbaine. La communauté urbaine du Grand Lyon était avant tout un EPCI technique gérant l'eau, l'assainissement, la voirie ou encore la propreté. Elle s'acquittait très correctement de ces fonctions au profit des usagers. Par exemple le Grand Lyon vient de renouveler sa délégation de service publique de l'eau en 2014 et s'est fait reconnaître dans le métier pour avoir créé une percée juridique en construisant un système proche de celui des autorités organisatrices des transports. Il donne au Grand Lyon un rôle de contrôle beaucoup plus rigoureux de ce que fait le délégataire, au meilleur profit des usagers. Désormais la métropole rajoute un rapport politique nouveau aux citoyens de son ressort et c'est là que nous l'attendons. Elle deviendra comptable de résultats dans sa politique territoriale ce à quoi le Grand Lyon n'était pas si exposé jusqu'ici. Par exemple, le territoire à l'amont de Lyon sur le Rhône, Miribel-Jonage, est une zone exceptionnelle d'enjeux. Elle assure à elle seule toute la fourniture de Lyon en eau potable, ce qui suppose des sécurités exceptionnelles. Mais elle est aussi traversée par le périphérique et constitue un des plus beaux sites de biodiversité sur le Rhône, avec ses îles et ses bras, à très forte fréquentation touristique. Cette zone s'étend au-delà du périmètre de la métropole et le pouvoir politique nouveau de la métropole la met en première ligne pour négocier le savant équilibre entre tous ces intérêts avec les territoires voisins. La seule ressource alternative sérieuse en eau potable se situe dans la nappe de l'est lyonnais. Mais cette nappe est surexploitée et si rien n’est fait, sa capacité de production ira en se réduisant, les pollutions pourraient gagner du terrain, faisant disparaitre ses atouts stratégiques pour la sécurisation en eau potable. Là où le Grand Lyon n'était qu'un acteur parmi d'autres dans les travaux du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de l'est-Lyonnais, la métropole devra montrer toute sa puissance politique et son art de la négociation pour faire aboutir un plan équilibré entre les intérêts prioritaires de l'eau potable et les autres usages.

La fusion du conseil général au sein de la métropole est le bouleversement le plus significatif. Ses équipes représentent la moitié des équipes de la nouvelle métropole. La raison d'être des conseils généraux c'est la solidarité, envers les populations défavorisées comme envers les territoires. A ce titre les conseils généraux font encore quasiment jeu égal avec les agences de l'eau dans les subventions envers les communes pour les équipements de l'eau. Ces subventions organisent une péréquation en faveur des communes rurales où les services de l'eau et l'assainissement sont facilement 5 fois plus chers à l'habitant. Dans le périmètre de la métropole, cette mission de  subventions de solidarité s'efface pour faire place à un seul grand service de l'eau et de l'assainissement compétent dans toute la métropole pour porter lui-même les maîtrises d'ouvrages. En cela la métropole assurera en son sein la péréquation, faisant financer les services d'eau et d'assainissement pour chacun de ses pôles urbains indifféremment par les contribuables de toute la métropole, et non par les seuls usagers desservis. La métropole fera des économies sur les transferts financiers que l'ancien conseil général du Rhône mettait en œuvre pour le reste rural du département. La métropole se rapproche d'un système à l'anglaise, où l'eau et l'assainissement sont gérés au sein de grands services de la taille d'un département français typiquement. Au sein de ce service se gère la solidarité (par mutualisation du prix de l'eau) et il n'y a ni conseil général, ni agence de l'eau pour faire fonctionner une péréquation entre les territoires.

En contrepartie, le Royaume-Uni a mis en place une autorité de régulation puissante et sévère qui contractualise une série d'engagements de performances assorties de pénalités financières en cas de non respect. Qui fera cette même régulation dans le cas de la métropole lyonnaise ? L'Etat, dira-t-on. Pas sûr qu'il ait la puissance technique et politique pour la réaliser.

Enfin, la métropole se donne deux ans avant de faire la grande réforme de réorganisation de ses services. Ce sera le premier test de sa capacité à tirer profit de tous les avantages qu'offre la métropole. Dans un aussi grand ensemble, la tentation de morceler sera grande. Ca ne permettrait alors pas de sortir des errances du passé où les missions de l'eau étaient coupées entre différentes institutions. Il sera stratégique pour les intérêts de l'eau que la métropole garde ensemble les services de l'eau, de l'assainissement mais y ajoute aussi les rivières, c'est-à-dire la politique des risques naturels autant que de biodiversité (trame bleue). Si la gestion des rivières d'un côté et celle de l'eau potable et l'assainissement ne requièrent pas les mêmes compétences techniques, ce sont en revanche les mêmes mécanismes financiers qui sont à l'œuvre (agences de l'eau et demain agence de la biodiversité) et la même directive cadre sur l'eau de 2000. De plus la même loi métropole qui a créé ce statut inédit pour le Grand Lyon a aussi apporté une innovation majeure pour les rivières : la création d'une compétence de "gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations" (GEMAPI) dévolue aux EPCI à fiscalité propre. Jusqu'ici la loi feignait de croire que le propriétaire privé riverain était responsable de la gestion et l'entretien du cours d'eau. Cette nouvelle compétence va conduire les EPCI à devoir renforcer sérieusement leurs savoir-faire en matière de digues, champs d'expansion de crue mais aussi ripisylves (forêts alluviales), habitats pour la faune, zones humides... La métropole ne pourra pas se contenter d'un service des espaces verts pour une mission aussi lourde.

Au-delà, l'eau a de plus en plus affaire avec l'urbanisme. Les services qui auront compétence sur l'eau devront absolument être associés à ceux en charge de l'urbanisme. Par exemple, la gestion des eaux de pluie s'impose désormais comme une priorité incontournable de l'eau comme de l'urbanisme. Tout le monde sent bien qu'il faudra bien un jour arrêter d'imperméabiliser sans fin nos villes. Ca ne produit que débordement d'égouts et donc pollutions graves des rivières et baignades sauf à consentir des  coûts faramineux de bassins d'orage en amont des stations d'épuration. Ca provoque des îlots de chaleur que seuls les arbres en ville peuvent atténuer. Il est urgent d'oser désimperméabiliser nos villes en rouvrant des fossés végétalisés dans nos rues ou des jardins de pluie dans les jardins publics comme privés. Bonne nouvelle : le 0-rejet à la parcelle peut même être 3 fois moins cher que le tout-tuyau. Mais les logiciels et les habitudes de nos aménageurs ont un très fort penchant pour l'imperméabilisation et le tuyau. Seule une métropole, politiquement assurée et techniquement bien guidée, peut décider de faire changer les habitudes et amener par ses règles d'urbanisme à faire de la place à l'infiltration de la pluie. Cela ne se verra que si les services de l'eau et de l'urbanisme sont très proches. Signe d'espoir, les études montrent que les élus municipaux sortis des urnes et qui s'intéressent à l'eau sont majoritairement les mêmes que ceux qui gèrent l'urbanisme. SI les élus ont donc déjà bien perçus les liens qui unissent l'eau à l'urbanisme, à eux de s'assurer que l'organisation des services les traduise bien en actes. Le Grand Lyon a eu coutume de créer des "missions" pour créer des équipes multidisciplinaires sur les quartiers en fort renouvellement (Confluence, Gerland...). Il s'agit maintenant d'en faire la règle. 

 

Tribune de Martin Guespereau parue dans la revue PCM (novembre 2014).

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