> MARDI 15 DÉCEMBRE 2015 |
Gilles Boeuf |
Fonction Scientifique, conseiller de la ministre de l’Ecologie en matière de biodiversité et de climat |
De science à conscience
L’eau ? Elle est bien autre chose qu’une évidence pour un homme qui a grandi à Douarnenez, signé une thèse sur la migration des saumons à Arcachon, avant de suivre la trace hormonale des salmonidés à l’Ifremer à Brest puis de se fixer à l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer. Entre séjours parisiens et missions à l’étranger.
1950 |
naissance à Saint-Nazaire |
1979-1999 |
directeur de recherche à l’Ifremer |
1999 |
professeur en physiologie des organes de l’université Pierre et Marie Curie |
2009-2015 |
président du Muséum d’histoire naturelle |
« L’eau est le support de la vie et de la biodiversité, lance le marin voyageur. Nous sommes composés d’eau aux deux tiers, un bébé à la naissance, aux trois quarts. Notre constante, notre obsession, est de la conserver dans notre corps : sans elle, nous ne survivons pas plus de trois jours. Et pourtant, on en a usé sans compter, comme une ressource inépuisable. On l’a gaspillée et polluée à l’envi. Elle est la molécule oubliée de l’histoire. Aujourd’hui, plus de 2 milliards d’êtres humains n’ont pas d’accès garanti à l’eau potable. Et le réchauffement climatique à l’œuvre contribue à la raréfier ». La molécule à préserver ? Gilles Boeuf en est persuadé, « pour sauver le bien-être de l’humain sur la planète ».
« Ça me bouleverse »
En 2001, le chercheur lit dans Science un article de Steve Palumbi sur l’anthropocène, cette nouvelle ère où l’activité de l’homme - et non la salinité de l’océan ou la température de l’air -commande la survie des autres espèces, la biodiversité et le climat. « Ça me bouleverse, dit-il. Je me dis qu’il faut changer, que je dois changer. L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, établie par 1 400 écologues, montre qu’on a perdu 43 % du nombre d’amphibiens en 40 ans. À ce rythme, 75 % des espèces auront disparu en 500 ans ».
Le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), dont il vient de quitter la présidence après six ans de mandat, offre au spécialiste un poste d’observation idéal pour qui veut défendre la biodiversité. Bien plus qu’un catalogue d’espèces, elle est pour Gilles Boeuf «cette manière dont les différents êtres entrent en relation. Nous sommes nous-mêmes une ode à la biodiversité. Un corps humain compte au moins dix fois plus de bactéries que de cellules humaines » !
Impliquer les autres
Le scientifique, professeur à l’université Pierre et Marie Curie depuis 1999, celui qui aime enseigner, raconte à merveille, s’impose depuis une quinzaine d’années en tant que « passeur » pour le grand public. Il multiplie les conférences, sans lâcher l’exigence du chercheur.
Là encore, le Muséum est un bon endroit pour transmettre et, surtout, impliquer les autres. « Depuis 2007, 20 000 citoyens recueillent des informations de terrain pour le musée, explique le chercheur qui a créé début 2015 un Mooc sur la biodiversité avec le MNHN. Ainsi, en janvier 2012, on a pu publier un article qui montre qu’en 18 ans, les oiseaux ont fait 33 km vers le Nord, les papillons, 114 ».
Les 80 chefs de l’Etat réunis à Paris pour la Cop 21 ont-ils la même fibre participative que les citoyens naturalistes? C’est le pari de Gilles Boeuf. « Pas écologiste mais écologue », chercheur insoumis au catastrophisme, il se félicite depuis juillet de conseiller Ségolène Royal en matière de biodiversité et de climat dans la préparation de la Cop 21. Sans cesser de prendre la parole sur les dangers. Sans, non plus, délaisser la mer qu’il fréquente à Banyuls-sur-Mer où il vit. « Avec l’âge, on se recentre sur les choses essentielles », dit-il.